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Aurore Nerrinck : Cette année, nous avons renoncé à Noël

Dans sa dernière publication à lire sur Mizane.info, Aurore Nerrinck nous raconte de quelle manière particulière elle a renoncé à Noël, dans un geste plus proche de l’esprit de cette fête et loin des impératifs commerciaux et folkloriques dictés par la société marchande.

Ce choix n’était pas motivé par un rejet de la joie, ni par une posture morale, mais parce que quelque chose, cette année, ne tenait plus : un décalage trop grand entre ce que nous voyons chaque jour du monde – la violence, la mort, l’écrasement de vies entières – et l’injonction à « faire comme si », à produire de l’ambiance, de la lumière, du réconfort factice. A performer les fêtes. Pour moi, ce n’était pas consolateur, ni joyeux, mais dissonant. Presque même une forme de dissociation.

Alors j’ai renoncé. A la décoration, au sapin, au menu, à la mise en scène de l’esprit des fêtes. Et aussi à une charge mentale considérable, en majorité portée par les femmes, et à une pression économique que je ne voulais plus cautionner. Voir qu’aujourd’hui des personnes sont contraintes de contracter des crédits pour Noël, pour répondre à une pression sociale, est indécent. Indécence d’un monde où tant de gens n’ont plus de quoi se loger, se soigner, se nourrir dignement. Indécence de transformer un moment supposément tourné vers le don et le partage en machine à dette, à culpabilité et à comparaison. Indécence quand tant de gens se trouvent seuls et sans rien à Noël.

Pensées à celles et ceux pour qui Noël n’est pas une fête : les personnes seules, celles qui vivent sous des tentes, les personnes détenues, les exilé·es, et tous les oublié·es, tous les invisibles. Je ne voulais pas que la fête serve à recouvrir cela.

Ce que nous avons fait, en revanche, a été simple : l’argent qui n’a pas été dépensé a été donné à des cagnottes de familles palestiniennes que nous suivons depuis longtemps. Sans héroïsation, mais par un déplacement du geste.

Ce Noël a pris aussi la forme de la gratitude. Gratitude pour un toit, un travail, une assiette chaque jour, la santé, quelques amis, quelques proches. Qui sont autant de privilèges. Un Noël sans consommation, sans illusion, mais pas sans sens. On s’est offert ce qui manque le plus d’ordinaire : du temps. Du temps non compté, non productif, non rentable, pour ralentir, sans impératif de performance.

Peut-être que dans un monde plus juste, nous aurions eu envie de célébrer. Peut-être que la fête retrouvera un jour sa légitimité. Mais cette année, je n’avais pas de raison de célébrer. J’ai vécu ce renoncement comme une forme de grève symbolique. Une grève de célébration. Un refus temporaire de faire comme si tout allait bien.

Cela n’engage que moi, ce n’est ni un modèle, ni une injonction – ni une volonté de culpabiliser qui que ce soit. Seulement une manière, pour moi, de ne pas trahir ce que je ressens, ni ce que je vois.

PS: Ce renoncement s’inscrit aussi, pour moi, dans un décalage devenu insoutenable entre la symbolique initialement chrétienne de Noël ou la Nativité — celle de la naissance dans la pauvreté, de l’accueil, de la vulnérabilité, du renversement des puissances — et ce qu’en a fait notre société contemporaine. Une fête largement vidée de sa portée spirituelle et éthique, convertie en rituel consumériste, parfois violent socialement. Ce que je questionne ici n’est pas la foi, mais l’écart entre un héritage spirituel et les valeurs effectivement produites et transmises aujourd’hui.

Aurore Nerrinck

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