À Tunis, AISA célèbre un demi-siècle d’héritage soufi et d’engagement pour la paix. Une semaine pour renouer avec l’essentiel, du 27 décembre au 1er janvier.
Avril 1975. Le Cheikh Hadj Mohammed el-Mehdi Bentounes s’éteint, laissant derrière lui une communauté en deuil et une lourde responsabilité. Le conseil des sages se réunit. Leur décision est rapide, claire : la direction de la Tariqa Alâwiyya-Darqâwiyya-Shâdhiliyya revient à son fils, Khaled Bentounes. Le jeune homme n’a alors que 26 ans.
Cinquante ans plus tard, cette transmission reste l’axe central d’un rassemblement exceptionnel à l’hôtel Golden Carthage. « Cet anniversaire marque d’une empreinte particulière notre parcours, confie un organisateur. Il ne s’agit pas seulement de se souvenir, mais de sentir la continuité. C’est un souffle qui ne s’est jamais interrompu, du 45e maître au 46e. »
Un demi-siècle à tisser la paix
Depuis 1975, le Cheikh Khaled Bentounes n’a pas chômé. Le séminaire retracera ce long travail, souvent discret, parfois salué sur la scène internationale. L’histoire retient plusieurs jalons : la reconnaissance par l’UNESCO en 2013 de l’Ordre Soufi Alâwi comme une « école de tolérance », un prix qui sonne comme une consécration.
Mais la fierté la plus palpable au sein de l’ONG reste sans doute la Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix (JIVEP). Le 16 mai, une date désormais inscrite au calendrier de l’ONU depuis 2017. « C’est la preuve qu’une idée portée avec persévérance peut toucher le monde entier, souligne une participante historique. Une résolution adoptée à l’unanimité par les 193 États, c’est un message puissant. »
Le futur en ateliers : respirer, écouter, se reconnecter
Loin de se contenter de discours et de regards vers le passé, le programme mise sur l’expérience sensible. Le « Pôle Santé » d’AISA animera une série d’ateliers ouverts à tous, des plus petits aux aînés.
L’idée ? Retrouver la paix par le corps. Ainsi, « Respirons ensemble avec la mer » guidera les participants au rythme des vagues, une invitation à lâcher prise. Pour les ados et les adultes, « Le corps, modèle d’unité » propose une plongée étonnante : « On y explore comment notre propre physiologie illustre la connexion avec les autres et notre environnement, explique l’animatrice. Le corps devient un livre de sagesse. »
Les enfants ne sont pas oubliés. Pour les 3-6 ans, « Respirons avec les arbres » joue sur la magie de la sylvothérapie, tandis que les 7-14 ans découvriront comment « Se sentir mieux par la respiration-relaxation ». Conseil pratique donné à tous : « Venez en tenue décontractée. L’important, c’est le confort pour pouvoir vraiment se détendre. »
L’héritage à l’ère du numérique
Comment faire vivre un patrimoine spirituel millénaire au XXIe siècle ? La réponse d’AISA passe par l’intelligence artificielle. Le séminaire dévoilera deux projets inédits, mûris de longue date. Le premier vise à « mettre la paix au cœur des enseignements » grâce à des outils pédagogiques innovants. Le second a une ambition immense : rendre accessible à tous la pensée du Cheikh al-Alâwi et l’héritage du soufisme à travers les siècles.
« On nous demande parfois si la technologie nous éloigne de l’essentiel, remarque un responsable du projet. Nous, nous croyons qu’elle peut, au contraire, être un formidable pont. Il s’agit d’utiliser ces outils pour préserver et transmettre, pas pour remplacer. C’est un travail pour les générations futures. »
En parallèle, une exposition numérique immersive proposera un voyage à travers les archives rares, les iconographies et les témoignages de cette voie soufie. Un parcours conçu aussi bien pour le chercheur que pour le simple curieux.
Des racines et des livres
Le séminaire ne serait pas complet sans un hommage aux sources. Une visite au mausolée d’Abû l-Hassan al-Shâdhilî, figure tutélaire du soufisme maghrébin, est prévue. Un pèlerinage symbolique vers ce lieu de prière et de retraite de la montagne al-Jallâz, où reposent ses quarante compagnons, « gardiens de l’héritage ».
Parole et mémoire passent aussi par l’écrit. La traduction en arabe du livre Le Pôle – Al-Qutb de Manuel Chabry sera présentée. Cet ouvrage, à la croisée de l’histoire et de l’expérience spirituelle, retrace le combat des maîtres de la Tarîqa pour préserver leur identité. « Cette traduction, c’est un retour aux racines, un ancrage. Elle élargit le dialogue à tous ceux qui cherchent à comprendre les réalités de cette tradition », estime son éditeur.
Célébrer pour mieux se projeter
Alors que les festivités du Nouvel An approchent, les 800 participants de Tunis n’auront pas tout à fait le même programme que le reste du monde. Leur compte à rebours, à eux, célébrera un passé riche et un avenir à construire.
Entre un atelier de respiration face à la Méditerranée et la découverte d’une archive numérique, entre une discussion savante et un moment de recueillement, c’est toute une philosophie qui se dessine. Celle d’un engagement qui, depuis cinquante ans, refuse de séparer l’intériorité de l’action, la tradition de l’innovation, la mémoire de l’espoir. Le séminaire de Tunis n’est pas un point final, mais plutôt une respiration profonde – la prise d’un nouveau souffle pour les cinquante années à venir.
