« Toute communauté a son homme de confiance. Et l’homme de confiance de ma communauté [oumma] c’est Abou ‘Oubayda », cette célèbre tradition du Prophète ﷺ illustre l’importance du prestige du compagnon : Abou ‘Oubayda Ibn Al Jarrah. Place donc au portrait de cette figure fondatrice, commandant en chef de l’armée musulmane et pionnier de la conquête de la grande Syrie (Cham).
Son nom est Abou ‘Oubayda ‘Amir Ibn ‘Abd Allah Ibn Al-Jarrah Ibn Hilal Al-Qoraishi Al-Fahri. Il était des Banou Al-Harith, clan issu de la tribu des Qoraish. Il est né environ 38 ans avant l’Hégire ( en l’an 581). Son père, ‘Abd Allah, chef de guerre arabe, demeura sur la religion de ses pères et mourut durant la bataille de Badr. Sa mère, également d’ascendance Qoraishite, se converti à l’islam.
Abou ‘Oubayda faisait partie des premiers mecquois à avoir rejoint l’Islam. Il s’est en effet converti le jour suivant la conversion d’Abou Bakr, qui fut notamment la cause de son adhésion à l’Islam. Ce dernier l’a conduit, ainsi qu’Abdarrahman Ibn ‘Awf, ‘Othman Ibn Mazhoun et Al-Arqam Ibn Abi Al-Arqam au Prophète ﷺ devant lequel ils professèrent tous l’attestation de foi.

Abou ‘Oubayda face à son père
Malgré son appartenance clanique, Abou ‘Oubaydah endura la cruelle expérience des premiers musulmans persécuté à la Mecque. Il resta pourtant ferme dans l’épreuve et fut, en toute circonstance, fidèle à sa foi et au message de l’Islam. Il fit partie des musulmans qui ont émigré en Abyssinie. Après avoir reçu l’ordre d’émigrer vers Médine, Abou ‘Oubayda retourna d’Abyssinie à La Mecque avant de se rendre à Médine.
Une fois sur place, le Prophète ﷺ conclut un pacte de fraternité entre Abou ‘Oubayda et Sa’d Ibn Mou’adh. Il conclut également un pacte de fraternité avec Mohammad Ibn Maslama afin qu’ils puissent hériter l’un de l’autre. Abou ‘Oubayda fut notamment présent lors des batailles du Prophète. Selon un récit, lors de la bataille de Badr (en l’an 624), il fut contraint de s’opposer à son propre père, ‘Abd Allah Ibn Al Jarrah , qui faisait partie de l’armée des qorayshites.
Abou ʿOubayda était à l’avant-garde de l’armée musulmane durant cette bataille. Connaissant sa réputation les combattants qoraishites se tenaient à distance. Cependant, un homme en particulier s’acharnait à le poursuivre dans ses déplacements. En dépit des tentatives désespérées d’Abou ʿOubayda pour l’éviter, l’homme réussit à lui barrer le chemin et le contraindre au face à face.
Abou ʿOubaydah ne put éviter la confrontation. Un duel s’engagea et l’homme, qui n’était autre que son père ‘Abd Allah Ibn Al Jarrah, rendit l’âme. Cette épreuve fut des plus éprouvantes. Dieu révéla ces versets coraniques en rapport à cet événement : {Tu n’en trouveras pas, parmi les gens qui croient en Dieu et au Jour dernier, qui prennent pour amis ceux qui s’opposent à Dieu et à Son Messager, fussent-ils leur père, leurs fils, leurs frères ou les gens de leur tribu } S.58 – V.22

Sacrifice de soi et diplomatie
Abou ‘Oubayada participa à de nombreuses batailles au point où il fut parfois nommé commandant de l’armée musulmane. Diplomate et honnête, le Prophète ﷺ l’envoya, de son vivant, en tant que missionnaire à Bahreïn, à Najran et au Yémen. Durant de la bataille d’Ouhoud (en l’an 625), Abou ‘Oubayda fut l’une des rares personnes qui restèrent auprès du Prophète ﷺ après la déroute des compagnons.
On rapporte, qu’à ce moment, neuf compagnons – dont Abou ‘Oubayda – encerclèrent le Prophète et repoussèrent les assauts des polythéistes arabes. Au terme de la bataille, les musulmans découvrirent qu’une molaire du Prophète ﷺ était cassée, qu’il était blessé au front, et que deux disques de son bouclier avaient pénétré dans sa joue. Abou Bakr s’avança alors vers lui afin d’extraire les disques mais Abou ʿOubayda le supplia pour s’en occuper lui-même. Il retira, avec ses dents, les deux anneaux du casque du messager de Dieu. Deux de ses dents sont tombées.
Après la mort du Prophète ﷺ, certains chefs des Ansar (auxiliaires médinois) se rassemblèrent à la Saqifa, le lieu de réunion des Banou Saʿida pour designer un successeur. Leurs voix se portèrent sur Sa’d Ibn ‘Oubada. Lorsqu’Omar Ibn Al-Khattab apprit la nouvelle, il se rendit à cette réunion avec Abou Bakr et Abou ‘Oubayda.
Pendant cette assemblée, ʿOmar s’adressa à Abou ʿOubayda : « Tends la main et je te ferai mon serment d’allégeance car j’ai entendu le Prophète dire : chaque oumma a un homme de confiance et tu es l’homme de confiance de cette oumma ». Ce à quoi il répondit : « Je ne veux pas mettre ma personne en avant en présence d’un homme [Abou Bakr] à qui le Prophète ﷺ a demandé de nous diriger dans la prière ». Après une longue consultation entre les Mouhajiroun et les Ansars, Abou Bakr fut finalement choisi comme calife et le peuple lui prêta allégeance.

La conquête de la grande Syrie (Cham)
Durant le califat d’Abou Bakr Al Siddiq. Abou ‘Oubayda devint un proche conseiller de l’émir des croyants. Dans un premier temps, il administra le Trésor public. Au début des guerres « d’apostasie », Abou ‘Oubayda et ‘Omar tentèrent de tempérer le calife contre toute forme de sévérité, avant la stabilisation de son califat, face aux opposants du versement de la zakat.
C’est sans doute pour cette raison qu’il ne joua pas un rôle de premier plan dans cette guerre, il resta tout de même un conseiller important du calife lors de la conquête de la Syrie. Selon le récit d’Al-Tabari, pour cette conquête, Abou Bakr le nomma commandant de l’une des armées musulmanes. Tous les bataillons envahirent la Syrie. Lorsque Damas fut assiégée, le calife Abou Bakr mourut et son successeur, ‘Omar, destitua alors Khalid Ibn Al Walid au profit d’Abou ‘Oubayda comme commandant en chef de l’armée islamique.
Plusieurs récits rapportent que Khalid cacha sa démission à l’armée afin d’éviter les divisions tandis qu’Abou ‘Oubayda dissimula également sa nomination au poste de commandant pendant un certain temps. Après un compromis avec Damas, Abou ‘Oubayda se rendit à Homs. Il conclut d’abord un compromis avec les habitants de Baalbek, puis avec ceux de Homs. Lattaquié fut ensuite conquise.
La ville de Yarmouk fut également conquise après une rude bataille. Le 15 août 636, Abou ‘Oubayda conquit Qinnasrin et Antioche. Il supervisa également la conquête d’autres provinces, comme la Jordanie et la Palestine, sous le commandement d’Amr Ibn Al ‘As.
Autres portraits de compagnons à lire :
Soumayya Bint Khayyat, martyre et résistante de la première heure
Sa’d Ibn Abi Waqqas, premier archer et dernier des émigrants
L’épidémie d’Amwas (Emmaüs)
Alors qu’Abou ‘Oubayda était occupé à conquérir Jérusalem (en l’an 638-639), les habitants de la ville décidèrent de conclure un traité de paix à condition que le calife lui-même se rende en Syrie pour signer le pacte. Abou ‘Oubayda rédigea alors une lettre à ‘Omar qui se rendit à Damas, puis à Al-Qods pour signer le célèbre « pacte de Jérusalem ».
En l’an 639, la peste frappa la population syrienne comme jamais auparavant. L’épidémie fut dévastatrice. Le calife ‘Omar dépêcha un messager à Abou ʿOubayda avec une lettre lui intimant l’ordre de « partir avant la tombée de la nuit et revenir ici [à Médine] au plus vite ». Lorsqu’il reçut la lettre du calife, Abou ‘Oubayda déclara : « je sais pourquoi l’émir des croyants a besoin de moi. Il veut la survie de quelqu’un qui, cependant, n’est pas éternel. ». Il désobéit alors pour la première et unique fois à l’ordre d’Omar et répondit :
« Je sais que tu as besoin de moi. Mais j’appartiens à une armée de musulmans et je n’ai nulle envie de fuir ce qui les afflige. Je ne veux pas me séparer d’eux jusqu’à ce que la volonté de Dieu soit faite. Quand tu recevras cette lettre, libère-moi de ton commandement et permets-moi de rester ici. »
Lorsqu’Omar réceptionna la lettre, ses yeux s’emplirent de larmes. Ceux qui étaient présents lui demandèrent : « Ô émir des croyants, Abou ‘Oubayda est-il mort ? ». « Non mais la mort est proche », pressenti le calife. Effectivement, peu après cet anecdote, l’épidémie frappa de plein fouet Abou ʿOubayda. Il meurt, en l’an 18 de l’Hégire (640), à l’âge de 58 ans dans le village palestinien d’Amwas (Emmaüs). Sa tombe se trouverait en Jordanie.

« Revenez ce soir, je vous enverrai un homme digne de confiance »
Quand la nouvelle de la mort du « digne de confiance » parvint à Médine, le calife ‘Omar déclara à ses compagnons : « Si j’avais à souhaiter une chose, je souhaiterais une maison pleine d’hommes qui ressemblent à Abou ‘Oubayda ». Peu avant son décès, Abou ‘Oubayda adressa ses dernières recommandations à son armée :
« Laissez-moi vous donner quelques conseils qui vous aideront à toujours être sur la voie de la rectitude. Priez. Jeûnez le mois de Ramadan. Donnez l’aumône. Accomplissez le Hajj et la ʿOmra. Restez unis et soutenez-vous les uns les autres. Soyez sincères avec vos commandants et ne leur cachez rien. Ne laissez pas le monde vous détruire. Même si les hommes pouvaient vivre mille ans, ils finiraient tous dans l’état où je suis maintenant. Que la paix et la miséricorde de Dieu soient sur vous. »
L’histoire de son célèbre qualificatif « le digne de confiance » est rapporté par le compagnon Mohammad Ibn Ja’far qui raconte qu’une délégation de chrétiens [arabes] vint un matin au Messager de Dieu ﷺ et dit : – « Aba Al-Qassim ! Envoie avec nous un de tes compagnons que tu agrées afin qu’il tranche entre nous dans les litiges d’argent. Nous sommes satisfaits de votre jugement, ô Musulmans ». – « Revenez ce soir, leur répondit le Messager, je vous enverrai un homme digne de confiance. ».
‘Omar Ibn Al Khattab témoigna ensuite : « Je suis donc allé de bonne heure à la prière de Dhohr en espérant être la personne visée par ce qualificatif. Quand le messager de Dieu ﷺ pria le Dhuhr avec nous, il se mit à regarder à sa droite et à sa gauche. Je me mis en évidence pour qu’il me voie mais il ne cessa de nous parcourir du regard jusqu’à voir Abou ‘Oubayda. Il l’appela et lui dit : – « Pars avec eux et juge leurs litiges avec la vérité ». Je me suis alors dit : c’est Abou ‘Oubayda qui l’a emporté ! ».