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jeudi 25 avril 2024

Abd al-Wadoud Gouraud : «Les musulmans doivent prendre leurs responsabilités»

Abd al-Wadoud Gouraud : «Les musulmans doivent prendre leur responsabilité» Mizane.info
Abd al-Wadoud Gouraud.

Abd al-Wadoud Gouraud est rapporteur du groupe de travail sur l’imam au sein du Forum de l’islam de France (FORIF). Au lendemain de la rencontre du FORIF avec Emmanuel Macron, il répond aux questions de Mizane.info Quels sont les objectifs poursuivis par le FORIF ? Quelles sont ses attentes personnelles sur ce nouvel espace de travail entre l’Etat et les acteurs musulmans ? Les réponses dans cet entretien exclusif.

Mizane.info : Pouvez-vous vous présenter au grand public ?

Abd al-Wadoud Gouraud : Je m’appelle Jean Abd al-Wadoud Gouraud. Je suis membre de l’Institut des Hautes Études Islamiques (IHEI) depuis 1998 et imam-conférencier en Île-de-France. De 2012 à 2017, j’ai été directeur de l’Institut An-Nour associé à la Grande Mosquée de Cergy et à ce titre j’avais déjà participé à plusieurs instances de dialogues locales et nationales avec l’État.

Comment s’est passée votre rencontre avec le FORIF ?

En décembre 2021, j’ai été invité à participer au FORIF par le bureau central des cultes, qui a expliqué à tous les participants la démarche et la méthode de travail. Il s’agit d’un nouveau format de dialogue avec l’État qui n’est pas comparable au CFCM. Il n’y a ni structure juridique et associative, ni hiérarchie. C’est à la fois un lieu de rencontre et de travail entre les musulmans et un espace de dialogue avec les pouvoirs publics, en l’occurrence le ministère de l’Intérieur, pour travailler et élaborer des solutions sur des sujets particuliers. On m’a donc proposé de rejoindre le groupe sur la professionnalisation et le recrutement des imams, et après mûre réflexion, j’ai décidé d’accepter cette invitation.

La première édition du FORIF (2022) a été organisée en quatre groupe de travail autour de quatre thématiques : sécurité des lieux de culte et lutte contre les actes antimusulmans, organisation et gestion des aumôneries musulmanes, droit et gestion des associations du culte musulman (application de la loi CRPR dite « loi séparatisme »), et professionnalisation et recrutement des imams. Comment s’est déroulé le processus de décision pour déterminer le sujet de ces groupes de travail ?

Ce que je sais, c’est que ces sujets ont été fixés sur la base d’études de terrain. Depuis quelques années, les assises territoriales de l’islam de France (ATIF) qui permettent des rencontres et des échanges entre les acteurs du culte musulman et les préfectures ont mis en évidence des problématiques et permis un élagage des grandes questions qui occupent la communauté musulmane, parfois de longue date. Il y a eu aussi l’actualité politique du gouvernement avec le vote et l’application de la loi CRPR, notamment pour ce qui touche à la gestion des associations du culte musulman, on peut donc comprendre que le ministère ait voulu le proposer comme thème de travail. L’annonce de la fin du système des imams détachés, provenant des pays étrangers, explique également la nécessité d’avancer sur la question de la formation et du recrutement des imams en France. Les autres thèmes font partie des préoccupations du culte musulman mais il ne s’agit pas de dire qu’ils sont prioritaires ou exclusifs.

Vous étiez rapporteur du groupe de travail sur la professionnalisation et le recrutement des imams. Quels sont les objectifs que vous vous êtes fixés sur ce dossier ?

Notre groupe de travail compte 18 personnes : des imams, des aumôniers, des responsables associatifs, des acteurs de la société civile dans le domaine de la formation, avec une grande diversité d’âge et d’origine de tous les participants. Nous nous sommes organisés en sous-groupe pour mieux travailler. La question centrale est le statut professionnel de l’imam qui n’a pu être résolue depuis des années.

Nous savons qu’il faudra tôt ou tard une volonté et une décision politiques pour créer un statut professionnel de l’imam adapté à l’exercice de sa fonction, afin de résoudre un certain nombre de problèmes liés au contrat de travail ou à la protection sociale.

Les contrats de travail proposés aujourd’hui restent bancals car ils ne reflètent pas toujours la réalité des missions de l’imam. Aujourd’hui, nous avons la possibilité et les moyens de trouver des solutions à ces problèmes. Nous bénéficions de l’accompagnement du bureau central des cultes et du soutien politique du ministère de l’Intérieur. La résolution de la question du statut professionnel de l’imam passe d’abord par la définition du rôle et des missions de l’imam en France. Qu’est-ce que veut dire être imam dans un pays laïque ? Quelles sont les missions prioritaires que les imams doivent remplir afin de répondre aux besoins cultuels, religieux, éducatifs et spirituels des fidèles ?

Quelles réponses votre groupe de travail a-t-il apporté à ces différentes questions ?

Nous avons proposé une définition de l’imam qui soit conforme aux principes de l’islam. Il y a l’approche classique qui consiste à distinguer l’imam qui dirige les cinq prières quotidiennes (imam ratib), l’imam qui prononce le prêche du vendredi (imam khatib) et l’imam référent des questions religieuses et théologiques. Cette classification ou typologie avait déjà été prise en compte par le CFCM et le Conseil national des imams. Nous nous en sommes inspirés mais en nous efforçant de simplifier ce travail à travers une approche plus globale permettant d’intégrer les différents profils, car il faut voir si ces fonctions sont transposables telles quelles dans le contexte français et au regard de la situation actuelle et des moyens de la communauté musulmane. 4 grands axes ont été identifiés concernant les missions des imams : la direction du culte, qui ressemble à ce titre au statut réglementaire de ministre du culte. Sauf que ce statut de ministre de culte ne recouvre pas toutes les fonctions de l’imam. Il y a la direction du culte, mais aussi l’enseignement religieux, l’accompagnement spirituel des fidèles, la médiation auprès des familles, et la production théologique.

Un seul imam ne doit pas nécessairement prendre en charge toutes ces fonctions, mais toutes ces missions correspondent à des degrés divers à l’imamat. La production théologique par exemple reste réservée à certains imams spécialistes dans ce domaine. Il y aussi la participation de l’imam au débat citoyen et notamment au dialogue interreligieux et plus généralement à la représentation de l’islam dans la société. Chacune de ces fonctions nécessite une formation. Sur le terrain, les imams sont sollicités sur ces questions mais ne sont pas toujours formés pour y répondre. Le sujet de la formation des imams est donc sur la table avec un volet religieux et un volet profane. Des diplômes sur le droit des associations et la formation civique existent déjà. Se pose également la question des rapports de l’imamat avec la production islamologique de l’institut français d’islamologie (crée le 2 février 2022, ndlr), ce qui est plus délicat.

Mais cet institut d’islamologie ne s’adresse pas aux imams…

Non, les imams n’ont pas vocation à être des islamologues. Mais ce serait une bonne chose que des passerelles et des espaces de dialogue soient établis entre les intellectuels musulmans qui connaissent l’islam de l’intérieur et les universitaires.

La création d’une faculté de théologie musulmane jouissant d’une reconnaissance académique est un horizon que nous espérons atteindre un jour. Une faculté dont l’enseignement serait respectueux des données de la foi et qui permette à ses étudiants d’acquérir un diplôme universitaire en France.

Il existe par ailleurs un tronc commun à établir entre l’imamat et l’aumônerie. Des aumôniers travaillent également avec nous pour le définir.

Dans ce travail de définition du statut professionnel de l’imam, des connaissances à réunir et des fonctions à remplir, avez-vous fait preuve de réalisme concernant le niveau et le contexte sociologique de la communauté musulmane française, au risque d’exclure de nombreux clercs musulmans de l’imamat ?

Nous ne sommes pas encore arrivés à une forme d’homologation qui exigerait de l’imam qu’il ait obtenu tel diplôme ou suivi telle formation. Nous nous sommes efforcés de produire des contrats types et des fiches de poste en tenant compte des différences de statuts et de mission. Et le FORIF n’est pas une instance de décision. Ces propositions seront soumises aux acteurs du culte musulman. Un travail de consultation et de remontées des exigences, besoins ou propositions, sera fait. Des imams peuvent nous dire par exemple qu’ils ne sont pas suffisamment bien payés ou que leur contrat ne leur permet pas de cotiser suffisamment à l’assurance chômage ou encore les associations peuvent formuler des demandes de formation pour leurs imams. D’ailleurs, nous travaillons également sur le volet de la validation des acquis de l’expérience des imams, certains d’entre eux étant en fonction depuis de nombreuses années. Il ne s’agit pas pour nous de créer une sorte de tribunal qui jugera qui est apte ou non à l’imamat. Il s’agit seulement de veiller que des mécanismes de contrôle puissent nous prémunir contre l’imamat autoproclamé de personnes non qualifiées et non autorisées. Au-delà des agendas politiques des uns et des autres, les musulmans doivent prendre leurs responsabilités dans leur propre intérêt.

Quelles sont les relations du FORIF avec les assises territoriales de l’islam ?

La plupart d’entre nous œuvrent déjà dans des assises locales là où ils vivent. Les prochaines assises sont en cours de lancement. Nos propositions de travail ont été transmises, elles seront discutées et nous espérons qu’elles seront bien accueillies. Nous attendrons les remontées de ces échanges avec beaucoup d’intérêt. Par exemple, sur la question du statut professionnel de l’imam il y a aura un choix à faire entre deux options. Soit adapter le statut de ministre du culte, avec toutes ses limites. D’après nos informations, ce statut ne répond pas aux besoins de l’imam qui a des devoirs et des obligations familiales. Ce statut est plus adapté à la prêtrise et son sacerdoce. L’autre statut possible est celui de salarié lié au régime général impliquant un lien de subordination avec l’employeur, avec un contrat de travail en bonne et due forme et le respect d’une convention collective.

Les mosquées ont-elles les reins budgétaires assez solides pour financer un contrat de travail avec des charges importantes ?

Il n’est pas possible de répondre unilatéralement à cette question qui dépend de nombreux paramètres. Les territoires sont différents, l’affluence et les capacités de financement diffère d’une mosquée à une autre. Cette question rejoint celle du financement du culte qui a été posée au niveau national. Nous pouvons peut-être envisager par exemple une structure locale qui accompagne l’imam dans ses missions, sa formation et son évolution professionnelle et qui mutualise financièrement le coût d’un imam itinérant en l’affectant à plusieurs mosquées. Mais il n’y aura pas de schéma unique et de nombreuses expériences existent dans les territoires. Les solutions doivent être adaptées aux besoins.

Les membres des groupes de travail du FORIF ne jouissent d’aucun mandat car ils ne représentent aucune institution, ce qui implique un possible turn-over et remplacement de ces acteurs. L’avancée des travaux exigeant du temps, une organisation des règles du fonctionnement des travaux au sein du FORIF ne sera-t-elle pas nécessaire ?

Les membres ne sont pas exclus arbitrairement et subitement. Certains membres présents au lancement du FORIF ont préféré ne pas s’investir dans les travaux, ils ne seront peut-être reconduits pour ces raisons. Les participants au FORIF n’ont pas vocation à y rester indéfiniment. Il va se renouveler grâce à la participations d’autres acteurs du culte musulman. Mais il sera effectivement utile et nécessaire de clarifier notre mode de fonctionnement. L’engagement doit faire la différence. La question de l’élargissement se posera également.

Le fait que cette dynamique ne soit pas trop structurée lui garantit pourtant une souplesse qui nous permet d’évoluer plus facilement dans notre travail.

Certains membres du FORIF ont proposé également un mode de gouvernance du FORIF pour que les musulmans se l’approprient. Le FORIF a un an d’existence. Tout ne fait que commencer. Il est normal que beaucoup de questions se posent.

Quelles sont vos attentes personnelles sur le FORIF ? A quel moment estimerez-vous être satisfait de l’évolution de cet espace de dialogue entre État et acteurs musulmans ?

Je m’efforce d’œuvrer sans trop d’a priori, avec une intention positive et constructive. Ce travail produira des fruits nécessairement même si on ne les voit pas tout de suite. Je suis confiant sur la méthode car elle correspond à l’enseignement du Prophète, que la paix et la bénédiction de Dieu soit sur lui. Cette méthode est de se mettre au service de la communauté avec une intention sincère et de la juste manière.

Tous les aspects de notre travail sont très techniques et peuvent sembler nous éloigner de l’essentiel qui est la spiritualité ou la vie religieuse, mais nous sommes poussés à garder les pieds sur terre.

Nous sommes au service de la communauté et ce service passe par cette organisation de travail, cette relation avec les pouvoirs publics, et l’amélioration des conditions de transmission de l’islam dans les mosquées, à travers l’imam. Clarifier et consolider et le statut professionnel de l’imam nous permettra d’apporter une contribution utile à tous et à nos enfants.

De nombreuses critiques sur le caractère non laïque de la démarche de l’exécutif sur le FORIF ont été faites. Le président Emmanuel Macron, dans son discours des Mureaux, avait aussi exprimé des attentes pour qu’émerge un islam des Lumières qu’il appelait de ses vœux. Estimez-vous que le FORIF inaugure une nouvelle ère des rapports entre l’État républicain et le culte musulman ? Vous sentez-vous personnellement obligé par les attentes exprimées par Emmanuel Macron sur un islam des Lumières ?

Cette expérience du FORIF est une nouveauté qui n’avait pas été tentée. Il ne faut pas l’idéaliser. Ce qui a été fait dans le passé n’a pas bien fonctionné. L’administration a impulsé cette nouvelle expérience, dans un contexte particulier.

Je pense, avec tout le respect que je dois au président de la République, que tous les acteurs du FORIF n’ont pas obligation d’adhérer nécessairement à la vision d’un islam des Lumières, qui connote un aspect rationaliste hérité de la philosophie des Lumières. Il y a par contre d’autres attentes que nous partageons tous, dont la lutte contre les actes anti-musulmans et contre l’extrémisme pseudo-religieux. Sur ce terrain-là, nous avons des batailles communes.

La notion islamique de lumière ne se réduit pas à la raison mais la dépasse largement. La laïcité garantit par ailleurs aux Français de confession musulmane que l’État ne s’ingérera pas dans leur croyance mais qu’il pourra accompagner les fidèles dans l’organisation de leur culte. Et au titre de membre et de rapporteur d’un des groupes de travail du FORIF, je tiens à dire que nous ne subissons aucune pression de cet ordre et que nous travaillons librement. Je n’ai donc aucune inquiétude à ce sujet et il est aussi important de répondre à celle de nos compatriotes qui ont pu en avoir.

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