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Frères musulmans en France : les contradictions d’un rapport d’état

Frères musulmans en France : les contradictions d’un rapport d’état Mizane.info

Le rapport commandé par l’ancien ministre de l’Intérieur (Darmanin) a alimenté tous les fantasmes d’un Conseil de défense animé par Emmanuel Macron autour de l’entrisme supposé des Frères musulmans en France. Une publicité qui masque mal les contradictions d’un rapport consulté et analysé par Mizane.info.

« Désigner ainsi les Frères musulmans comme l’ennemi intérieur à qui on fait tout porter, c’est de la folie ». Cette déclaration émane de Bernard Godard, ancien fonctionnaire des renseignements généraux et ancien chargé de mission au bureau central des cultes du ministère de l’intérieur (2002-2015) dans un entretien au Monde. Elle nous indique parfaitement quel type de registre devrons-nous solliciter dans le traitement du rapport intitulé « Frères musulmans et islamisme politique en France » : le registre psychiatrique.

Ce rapport multiplie, en effet, les lacunes, défauts et manquements possibles. Sa thèse -les Frères musulmans prépareraient une douce prise de pouvoir par une politique de l’entrisme au niveau municipal destinée à leur ouvrir les portes politiques et in fine leur permettre de créer localement un environnement social le plus favorable possible aux normes islamiques- relève soit d’une forme paranoïaque de théorie du complot, soit d’un mensonge calculé, froid, et cynique.

MF, une institution en fin de vie

Tous les spécialistes sérieux de l’islam français savent que Musulmans de France, la fédération associée par le gouvernement aux Frères musulmans, ne représente rien socialement. Elle n’a aucune influence, aucun pouvoir, ne dispose d’aucun levier susceptible de lui fournir un accès à un quelconque niveau de responsabilité dans ce pays.

Rien que sur le plan communautaire, MF n’exerce plus aucune influence depuis longtemps. Le traditionnel Congrès annuel de trois jours du salon du Bourget n’existe plus depuis des années faute d’argent. MF ne dispose plus d’aucun prédicateur, intellectuel sérieux et influent.

Il s’agit d’une association aux mains d’une poignée de personnes âgées, une microscopique gérontocratie dont les seules réalisations marquantes, en dehors du défunt salon du Bourget, sont quelques écoles privées musulmanes (Averroès, Al Kindi) qui se sont vues retirer leur dotation malgré des victoires judiciaires, et deux centres de formation théologiques de l’IESH (Château-Chinon et Saint-Denis). Pas de quoi fouetter un chat pour une structure qui a au moins quarante ans d’âge.

C’est dire l’ampleur du désastre de cette dernière fausse polémique autour d’un rapport mal écrit, additions de copier-coller de notes, rapports et autres expertises mentionnées en annexes mais sans aucune note de bas de page. Par contre, quel sens de la mise en scène ! Un Conseil national de défense, s’il vous plaît.

Quoi ! Serions-nous à l’aube d’une guerre ? Que nenni ! Nous voilà plutôt sous la menace d’une islamisation rampante de la société française. Après un long sommeil que nul ne parvient à dater précisément, Macron et ses sbires découvrent une autre France, composée d’une jeunesse dynamique et porteuse d’une identité religieuse. Malheur à nous ! Organisons sans plus tarder la riposte, et créons vite une vague politique pour noyer la Bête ancestrale, l’ennemi de toujours, l’hydre islamiste.

Renaissance n’est pas en reste. Le petit Gabriel a les dents longues et l’appétit vorace. Faisons ce que nous savons faire de mieux : interdisons. Après le voile à l’école, après le voile dans le sport, quelle marge d’action nous reste-t-il ? Le voile pour les moins de 15 ans ! La campagne de 2027 est lancée et le chevalier Retailleau, sans armure mais pas sans défaut, intensifie sa croisade soutenue par le staff de LR au lendemain de sa victoire face à Wauquiez.

Après cette désagréable mise en bouche, entrons donc un instant dans ce fameux rapport et découvrons quelques-unes de ses nombreuses contradictions, incohérences et autres biais de sélection.   

Les Frères musulmans : une confrérie affaiblie ou puissante ?

Le rapport décrit à la fois une mouvance affaiblie, en retrait dans les pays arabes, désorganisée, avec en France une matrice idéologique « vide de substance » depuis le milieu des années 2010, mais avec une structure solide, bien financée, engagée dans une stratégie de long terme, hybridée avec d’autres courants islamistes, et infiltrée dans le tissu associatif européen.

Le rapport parle ainsi de « la faiblesse de la production idéologique et religieuse des organes français, par manque de cadres (…) Lors du premier entretien avec les représentants de Musulmans de France, ces derniers ont voulu mettre en avant l‘importance de leur travail de fatwa*, sans être par la suite capable d’en produire un quelconque échantillon. » (p 44).

Cette contradiction fragilise l’évaluation nationale du rapport et donne un tableau oscillant entre fin de cycle et stratégie de conquête réputée intacte.

Une influence politique sans aucun relais politique

Autre incohérence : p 52, les auteurs du rapport indique dans un premier temps que « l’investissement en politique de la mouvance au plan national apparaît limité en tant que tel », formule creuse qui signifie qu’il n’y a aucun investissement politique national des FM qui n’en a ni les moyens ni les compétences, mais que « les membres investissent fortement l’échelon local pour y faire progresser leur agenda et consolider leurs écosystèmes » « sans, (toutefois), recourir, à ce stade, à la constitution de listes communautaires ».

Autrement dit, les FM ne se présentent pas aux élections et ne briguent pas le pouvoir ! Mais, poursuivent les rapporteurs, « ils exercent une pression croissante, parfois violente, auprès des exécutifs locaux à la faveur d’une stratégie de rapprochement engagée dès les années 1990. » « L’agenda islamiste aurait ainsi trouvé « un exutoire idéal dans le cadre municipal », où a été instauré un rapport de forces électoral ».

Comment s’y prennent-ils ? Notamment par la « mobilisation de l’électorat majoritairement abstentionniste issu des quartiers populaires ». Mais, comme les sociologues et les politologues le savent très bien, les quartiers populaires sont très largement des espaces abstentionnistes, en particulier aux municipales. Donc, MF n’investit ni le champ national, ni le local (absence de listes), ni n’est en mesure de faire reculer l’abstention…

Statut des femmes : inclusion ou instrumentalisation ?

Le rapport souligne que les FM promeuvent en Europe la participation des femmes. Mais il affirme aussi que :

-Leurs fonctions sont « circonscrites à la maternité »,

-Mais qu’elles sont en même temps utilisées pour donner un « signal de modernité » sans véritable pouvoir.

Il s’agit là d’une incohérence manifeste entre un discours moderniste affiché et une réalité interne de nature patriarcale.

Tableau synthétique des contradictions

ThèmeÉnoncé 1Énoncé contradictoirePages
Menace fréristeElle doit être évaluée « à sa juste mesure »Stratégie subversive durable, menace pour la cohésion nationalep.4, p.5, p.19
Double discoursExpertise en dissimulationMatrice idéologique affaiblie et vide depuis 2015p.4
IslamophobieTerme utilisé pour se victimiserReconnaissance de discriminations réelles contre les musulmansp.4, p.13
FemmesValorisation dans la vie publiqueRelégation à la maternité, absence de pouvoir réelp.14 à 16
Engagement civiqueParticipation républicaineToute activité publique suspectée d’entrismep.4, p.11
Islam essentialiséAppel à l’analyse nuancéePrésentation de la pensée frériste comme immuable et unifiéep.11, p.19

Islamophobie : dénonciation instrumentale ou fait social réel ?

Le rapport critique l’usage du terme « islamophobie » comme outil rhétorique frériste. Néanmoins, il admet :

-Que les discriminations envers les musulmans sont fréquentes,

-Que les femmes voilées sont particulièrement touchées,

-Que des actes islamophobes existent et sont documentés.

Cette double posture rend le rejet du terme ambigu et dévalue les faits pourtant reconnus par le texte lui-même.

Vision duale de la mouvance des Frères musulmans

Le rapport débute en affirmant qu’il existe deux lectures « toutes deux dignes » : l’une empathique, considérant une évolution individuelle, souple et contextualisée des membres, l’autre estimant qu’il s’agit d’un mouvement structuré, vertical et stratégique.

Pourtant, tout le reste du rapport privilégie quasi exclusivement la seconde grille de lecture, décrivant une organisation dissimulée, menaçante et manipulatrice.

En outre, le rapport oppose la mouvance frériste à des courants plus radicaux comme le salafisme. Mais en conclusion, il affirme que la stratégie frériste s’est hybridée avec le salafisme, le tabligh ou encore le déobandisme, brouillant ainsi la frontière entre toutes ces idéologies.

Des conclusions bipolaires

Pour les auteurs du rapport, « le combat contre l’islamisme ne peut être mené sans l’adhésion de la population dans son ensemble et des Français de confession ou de culture musulmane en particulier. » (p 60)

Il faut reconnaître que l’absence complète d’auto-critique des politiques dans le développement des problématiques sociales évoquées dans ce rapport rend difficile l’ouverture d’une réflexion honnête et lucide. Ainsi, après avoir, depuis 40 ans, fait des termes islamiste, terroriste, séparatiste, salafiste, fondamentaliste, etc, de parfaits synonymes de musulmans, auprès de l’opinion publique, , les pouvoirs publics voudraient intégrer les dits musulmans dans un combat contre… eux-mêmes ! En somme, un suicide assisté.

Ce type de phraséologie démontre à quel point les auteurs de ce rapport et tous ceux qui l’ont nourri ignorent la profondeur de la souffrance vécue par les musulmans de ce pays, traqués dans leur identité, psychologiquement privés de leurs libertés religieuses à cause d’un climat délétère volontairement entretenu, quotidiennement criminalisés dans l’opinion publique. Le séparatisme est là et seulement là.

Alimenter une campagne publique contre une partie de sa population pour ensuite réclamer qu’elle s’y joigne relève de la schizophrénie. Au lieu de se réformer et de revenir à la raison, les adeptes d’une laïcité de combat et de dé-islamisation des musulmans préfèrent poursuivre leur fuite en avant. Ce qui n’augure rien de bon.  

La responsabilité des acteurs politiques français

« Le reste du corps social doit accepter que l’islam est une religion française, très probablement l’une des toute première sinon la première en termes de pratique cultuelle, et mérite à cet égard de la considération, y compris vis-à-vis de certains de ses mœurs qu’il ne partage pas. » (p 61)

Les mêmes remarques s’imposent. Avoir alimenté depuis 40 ans, dans les médias et la société, tout un discours de rejet de l’islam et ce au plus niveau de l’Etat, puis s’étonner qu’une frange importante des Français rejettent l’islam est parfaitement absurde. Le fait d’avoir expliqué aux Français que tous les éléments de la pratique religieuse de l’islam (hijab, barbe, prière, jeûne, respect des interdits alimentaires, morale sexuelle) étaient des signaux de radicalisation ou des marqueurs d’islamisme relève de l’incitation à la haine religieuse et de la criminalisation de plusieurs millions de citoyens français déchus, sinon de jure du moins de facto, de leur appartenance nationale. Et cela n’est pas un accident de l’histoire.   

Remarquons que le ministre de l’Intérieur, qui est aussi chargé des cultes, a déclaré que « les Frères musulmans veulent imposer la charia sur l’ensemble du territoire français », déclaration en contradiction totale avec l’une des conclusions du rapport stipulant que « ses cadres, vieillissants, semblent à la peine pour assurer la relève générationnelle » et surtout qu’ « aucun document récent ne démontre la volonté de Musulmans de France d’établir un état islamique en France ou d’y faire appliquer la charî’a. »

Critique méthodologique du rapport

Absence de citations précises : Le texte comporte très peu de références directes dans le corps du rapport, ce qui affaiblit la traçabilité des sources.

Formulations vagues : Emploi de locutions comme « certains observateurs », « des témoignages recueillis » sans identifier clairement les sources. Tous les sources ont été anonymisées au prétexte de risques sécuritaires ce qui délégitime la valeur scientifique de ce document et le place plutôt du côté des outils de propagande politique.

Généralisations : Le comportement ou les discours de quelques individus sont souvent étendus à toute la mouvance.

Confusions conceptuelles : Le rapport mêle islam, islamisme, frérisme, salafisme et terrorisme sans définir ni distinguer les termes et les niveaux d’analyse.

Suspicion systématique : Toute action civique ou associative musulmane est interprétée comme suspecte ou manipulatoire, sans démonstration solide.

Nos conclusions

Ce rapport s’inscrit finalement dans la lignée des productions idéologiques de Florence Bergeaud-Blackler, nouvelle parraine du populisme « intellectuel » de droite, réfutée et désormais déconsidérée par les milieux académiques français.

La ligne de ce courant porté politiquement par Retailleau est que chaque musulman est un islamiste en puissance et/ou en acte, un ennemi de l’intérieur, un loup qui veut entrer dans la bergerie et dont il faut provoquer l’exclusion de tous les champs de la société. « Vive le sport et à bas le voile » : le slogan de la nouvelle droite résonne haut et fort et donne le ton d’une pré-campagne présidentielle et aussi municipale qui aura définitivement les allures d’une campagne militaire.

Accuser les musulmans de vouloir faire de l’entrisme c’est aussi révéler qu’ils n’ont jamais été considérés comme des citoyens français, des êtres de l’intérieur, mais qu’ils ont été en permanence relégués à l’extérieur du champ de la Nation et de la République, puisqu’ils voudraient y entrer !

Le rapport du ministère de l’Intérieur constitue de ce point de vue une grave atteinte aux droits constitutionnels des citoyens de confession musulmane incriminés qui y sont incriminés puisqu’il criminalise des activités parfaitement légales et même à encourager comme l’action humanitaire, l’investissement éducatif, les activités culturelles ou sportives et même l’engagement citoyen. Il est illusoire de penser que les efforts du gouvernement ne vise que les Frères musulmans ou MF. La porosité des frontières ne laisse place à aucun doute : la définition des termes islamistes, fréristes ou séparatistes visent désormais tout musulman pratiquant en situation d’ascension sociale.   

Le message envoyé est que tout activisme social dans quelque domaine que ce soit d’un Français de confession musulmane doit être endigué par tous les moyens possibles, y compris le recours à la loi et aux services de l’Etat.

Cette politique risque de produire des conséquences sociales catastrophiques que les pompiers pyromanes qui en sont à l’origine sauront encore, si elles surviennent, exploiter avec cynisme. La Nation française et la République française sont, hélas, devenues les prétextes d’un maccarthysme anti-islamique qui ne se cache plus.

Dans ce rapport, notons encore que pas un mot pour Aboubakar Cissé, poignardé cinquante fois dans une mosquée, n’a été mentionné. Pas un mot contre la tentative d’assassinat de Rachid Eljay. Contre la mosquée de Bayonne en 2019. Contre les agressions à Poissy et ailleurs contre des femmes qui se sont faites arrachées leur voile.

On sourira enfin à la lecture de la mention du politologue François Burgat, dont certains des travaux sur l’islamisme figurent en annexes, alors qu’il est actuellement en cours de jugement pour des accusations d’apologie du terrorisme, en raison notamment de la publication sur les réseaux sociaux d’extraits de ses… travaux.

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