Le mardi 18 mars 2025, les éditions Sarrazins ont annoncé que leurs avoirs avaient été gelés suite à un arrêté du Ministère de l’Intérieur. Cette mesure soudaine a mis un coup d’arrêt aux activités de l’édition. Quels sont les faits reprochés ? Un recours est-il envisagé ? Est-ce la fin de l’aventure littéraire de Sarrazins ? Pour le savoir, la rédaction de Mizane.info s’est entretenu avec son fondateur, Renaud Klinger.
Diriez-vous avoir été complètement pris à revers par cet arrêté ministériel ou aviez-vous eu vent de signe avant-coureur d’une possible procédure ?
Renaud K. : Tout d’abord, merci de m’avoir convié à répondre à vos questions, ici, sur Mizane. Non, je ne peux pas dire que j’ai été surpris. Je savais que je finirais par être embêté tôt ou tard. J’ai déjà été convoqué à plusieurs reprises par les renseignements territoriaux, et des confrères m’avaient rapporté avoir entendu le nom de ma maison d’édition dans des discussions en haut lieu.
« Un gel des avoirs ? La mesure me paraissait exceptionnelle, du genre de celles qui touchent habituellement les « oligarques russes » ou les Talibans. »
En revanche, j’ai bien été surpris par les moyens employés. Un gel des avoirs ? La mesure me paraissait exceptionnelle, du genre de celles qui touchent habituellement les « oligarques russes » ou les Talibans. Me voir concerné par une telle décision m’a en effet profondément bousculé.

Quelles sont vos impressions face aux griefs et justifications notifiées par l’arrêté pour geler les fonds de votre édition ?
R. K : Les griefs qui m’ont été adressés dans un second temps sont tous aussi grotesques les uns que les autres. Entre deux retweets de soutien à un imam jeté en pâture dans les médias et au CCIE, l’on m’a d’abord reproché d’avoir écrit des articles d’histoire : un article sur la résistance des Omeyyades face aux invasions vikings en Espagne, une biographie d’un maître soufi parti à la guerre contre les croisés, etc.
On m’a aussi reproché d’avoir vendu, sur une courte période, des livres considérés comme des « appels au terrorisme ». Des livres qui ne sont pas de moi, connus, et vendus jusqu’à la FNAC. Des articles d’opinion m’ont également été reprochés. Rien d’illégal, ni même d’ambigu, mais le contenu a été jugé suffisant pour justifier le grief principal : je serais quelqu’un « incitant à la commission d’actes terroristes ».

Allez-vous faire appel de cette procédure administrative ?
R. K : Non, je ne ferai pas appel. L’impossibilité d’obtenir gain de cause avant un an et demi m’en a dissuadé. Je me suis cependant engagé, avec Maître Guez Guez, à faire un référé. Car le gel a causé l’arrêt temporaire de mon activité professionnelle. Un juge des libertés pourrait estimer que le gel est excessif, et l’annuler. À suivre donc…
Comment envisagez-vous la suite de Sarrazins et de vos projets ?
R. K : Sarrazins continuera, mais pas en l’état, ni avec les mêmes moyens et outils. Tout est à repenser, à revoir. Mais certainement pas le fond. L’islam et sa civilisation continueront d’être le cœur de notre ligne éditoriale.
« L’islam et sa civilisation continueront d’être le cœur de notre ligne éditoriale. »

Avez-vous reçu des soutiens à la suite de cet arrêté ? Est-ce que vous vous attendiez à cet élan ?
R. K : J’ai effectivement reçu énormément de soutiens. Des musulmans du quotidien, mais aussi des personnalités et des acteurs divers de la communauté. Mais pas seulement ! Des éditeurs non-musulmans, des chrétiens… Beaucoup m’ont également proposé leur aide.
Je ne m’attendais pas à un tel élan. C’est très appréciable, et rassurant ! Avec tout ce qu’il se passe, et le traitement médiatique des sujets qui nous concernent (Gaza, l’islam en France, etc.), de plus en plus de gens sentent qu’il y a quelque chose de nauséabond dans l’air, et qu’il faut en parler, ne plus avoir peur.
« Je ne m’attendais pas à un tel élan [de soutien]. C’est très appréciable, et rassurant ! »
D’autant plus que nous sommes en réalité des centaines, peut-être des milliers de musulmans à subir de pareilles mesures gouvernementales. Comme me l’a dit mon avocat : « si l’on n’en parle pas, ça n’existe pas ! ».
Propos recueillis par Ibrahim Madras pour Mizane info.