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mardi 30 avril 2024

Hassan al Basri, patriarche du soufisme

Figure centrale du soufisme, Hassan al Basri a exercé une grande influence sur l’enseignement, la méthode et la pratique du soufisme. Khaled Maaroub, auteur de « Hassan al Basri, la voie des premiers maîtres » (AlBouraq) nous en dresse un portrait sur Mizane.info.

Si toutes les sources s’accordent à considérer Hassan al Basri comme l’un des personnages les plus influents de la spiritualité musulmane, une divergence subsiste à propos de la typologie spirituelle qu’il incarnait : Qatâdah, le compagnon du Prophète, le compte parmi les saints de son époque. Abû Ṭâlib al-Makkî 1 le compare dans son ouvrage Qût al-qulûb 2 au Prophète Abraham 3 alors que R.A. Nicholson le décrit comme « le plus célèbre représentant du mouvement ascétique 4 » en Islam.

Louis Massignon le considère comme le fondateur de la « science des cœurs ou psychologie mystique 5 ». Quant à Anawti et Gardet, ils l’ont surnommé « Patriarche de la mystique musulmane 6 ». S.H. Nasr a fini par lui décerner le titre du « Grand patriarche du taṣawwuf ». Tous ces titres ne peuvent que refléter la complexité de ce personnage, la multiplicité de ses facettes et la profondeur de ses enseignements.

Abû Ḥayyân al-Tawḥîdî (m. 414H/1023), affirme que : « Hassan n’a pas été seulement un maître en piété, ascèse, abstinence et mansuétude, union à Dieu et vénération de Sa transcendance (tanazzuh), mais aussi en droit, en rhétorique, et en conseils de correction fraternelle ; car son éloquence, qui est restée célèbre, se montrait essentiellement pratique ; ses sermons touchaient les cœurs et son style déconcertait les intelligences. » Ses enseignements avaient un retentissement immense. Ils sont restés les plus sobres et les plus beaux prônes que l’Islam ait connus et c’est d’eux que s’inspireront plus tard les sermons les plus éloquents des imams.

Ce « sanctuaire de la science 7 » donnait régulièrement des enseignements publics sur le Hadith, la jurisprudence, le Saint Coran, la langue arabe et la rhétorique. Anas Ibn Mâlik fut interrogé un jour sur une question et il dit : « Allez interroger notre maître al-Hassan, car il a entendu et nous avons entendu, mais il a retenu et nous avons oublié. »

Hassan transmettait la science avec sagesse et clairvoyance dans le respect de la parole du Prophète : « Parlez aux gens à la mesure de leur entendement. Voulez-vous que l’on fasse mentir Allâh et Son messager 7 ? » On rapporte que chaque fois qu’al-Hassan parlait de la science de l’unicité (tawḥîd), il commençait par sortir de son rassemblement tous ceux qui n’étaient pas aptes à entendre, car il y présentait des vérités subtiles qu’il n’est pas approprié de transmettre à chacun.

D’après le grand maître soufi Ibn ‘Arabî 8 : « Lorsque Hassan al Basri voulait parler des mystères qui ne doivent pas se trouver sur le chemin de ceux qui n’en sont pas dignes, il appelait à part Farqad al-Sabakhî et Mâlik Ibn Dînâr, ainsi que d’autres présents parmi les gens du goût initiatique : fermant la porte aux autres, il traitait de ces mystères en séance intime 9. »

Farid al-Dîn al-‘Aṭṭâr rapporte aussi dans Le Mémorial des saints cette histoire dans laquelle al-Hassan parle de l’une de ses plus célèbres disciples la grande sainte Râbi’a al-’Adawiyya 10 : « Cheikh Hassan al-Baṣrî faisait une homélie une fois par semaine et donnait des avis au peuple. Le jour où il devait prononcer cette homélie, si Râbi’a ’Adawiyya n’était pas présente, il descendait de chaire et ne parlait pas. Quelqu’un lui dit : « Ô Cheikh Hassan ! Voilà ici tant de begs, de riches et de grands ; parce qu’une vieille femme ne s’y trouverait pas, est-ce une raison pour que vous ne prononciez pas l’homélie ? « Et Hassan al Basri de répondre : « Le breuvage que nous préparons pour l’estomac des éléphants, on ne saurait le verser dans le gosier des fourmis » 11. »

La littérature mystique met en évidence l’influence de Hassan al Basri sur la formation et le développement du soufisme. La première présentation de Hassan al-Baṣrî comme un soufi se trouve dans Qût al-Qulûb d’Abû Ṭâlib al-Makkî (m. 386H/996) qui le nomme « le maître de nos maîtres 12 » et rajoute : « Nous suivons ses traces et suivons son chemin. De sa lampe nous prenons la lumière. Nous avons transmis de lui, maître à maître, [cette doctrine du soufisme] avec le consentement de Dieu 13. »

Al-Makkî considère même que Hassan est le créateur de la méthode soufie : « Il fut le premier à créer une méthode pour cette doctrine [soufie]. Il a fait parler les langues à son sujet, a donné ses significations, a montré ses lumières, et par la lumière il a découvert ses secrets 14. »

Quelques décennies plus tard, Abû Nu‘aym al-Iṣfahânî (m. 429/1039) présente Hassan al-Baṣrî comme un saint et modèle de l’ascétisme en Islam : « Parmi eux [les saints de l’Islam], l’allié de la crainte et du chagrin, le compagnon de l’agonie et de la douleur, l’antagoniste du sommeil et de la somnolence, Abû Sa’îd al-Hassan Ibn Abî al-Hassan, le juriste ascétique et le fidèle adorateur. Il a renoncé aux trivialités et aux ornements de ce monde, et a réprimandé les désirs et l’arrogance de l’âme 15. »

Le célèbre poète égyptien soufi, al-Buṣîrî (m. 694/1294) cite al-Hassan parmi les maîtres de la voie soufie shadhilite et le décrit dans ces vers :

« De l’unique al-Ḥabîb al-‘Ajmî, De son maître al-Baṣrî, celui des illuminations

Je veux dire, al-Hassan [l’homme] des états spirituels »

L’impact des enseignements de Hassan al Basri sur les soufis des générations ultérieures est immense, même si l’authenticité des anecdotes et des paroles qui lui sont attribuées est difficile à prouver.

Louis Massignon affirme que la spiritualité islamique a débuté avec Hassan et qu’il est le fondateur de « la science des cœurs (‘ilm al qulûb) » ou la psychologie mystique. Selon lui, la contradiction apparente entre certaines sources s’explique par la diversité de types de disciples qu’il a eus. Il y avait les soufis qui étaient les plus fidèles à sa vision, puis les mu‘tazilites 16 qui se sont égarés de certains points fondamentaux de sa doctrine et enfin certains traditionnistes qui ont entièrement abandonné sa méthode 17.

Al-Hassan avait, en effet, transmis, la voie spirituelle dans un cadre restreint à quelques disciples qui créèrent, par la suite, des centres d’éducation spirituelle à Bassorah, ce qui fera la renommée de cette ville comme le dira plus tard Ibn Taymiyya (m. 728H/1328) « l’origine du soufisme est Bassorah 18 ».

Abû Nu‘aym Al-Iṣfahâni mentionne dans son ouvrage encyclopédique Ḥilyat Al-Awliyâ’ que ‘Abd Al-Wâḥid Ibn Zayd, l’un des disciples d’Al-Hassan, fut le premier à bâtir une école soufie à Abadân (actuellement à la frontière entre l’Iran et l’Irak). Râbi‘a al-‘Adawiyya a également pu profiter des enseignements spirituels d’Al-Hassan et a transmis sa connaissance et son amour à d’autres grands soufis tels que Sufyân al-Thawrî (m. 161H/778) et Shaqîq al-Balkhî (m. 194H/809). Ainsi al-Hassan et ses disciples furent à l’origine des premières écoles de soufisme sunnite basées sur l’éducation de l’âme, la purification des cœurs et le détachement intérieur du monde.

Certains font le lien entre le soufisme et le mot arabe ṣûf (la laine), or, dans son livre Ṣifat al-Ṣafwah, Ibn al-Jawzî cite certaines narrations selon lesquelles Al-Hassan aurait laissé à sa mort une cape en laine qu’il a portée pendant vingt ans, en hiver comme en été, et qui était restée propre, belle, impeccable. Al-Hassan fut donc un des premiers soufis au sens spirituel et littéral.

Khaled Maaroub

Notes :

1- Né en Iran, il fut un grand ascète et maître soufi (m. 386/997).

2- Célèbre ouvrage soufi qui a beaucoup inspiré al-Ghazâlî dans son Iḥyâ’ ‘Ulûm al-dîn.

3- Qût al-qulûb, I, p. 149.

4- Reynold.A. Nicholson, « A Historical Enquiry Concerning the Origin and Development of Sufism », Journal of the Royal Asiatic Society (1906), p. 304.

5- Louis. Massignon, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, Paris, Geuthner, 1922, p. 177.

6- Anawati et Gardet, Mystique musulmane aspects et tendances, expériences et techniques, Paris, Vrin, 1986, p. 24.

7- Voir Dhahabî, Siyar a‘mâl al-nubalâ’, 10, p. 471.

8- Tel qu’il est nommé par Farîd al-dîn ‘Aṭṭâr dans Le mémorial des saints.

9- Cité par al-Bukhârî (127) et rapporté par ‘Alî Ibn Abî Ṭâlib. 35 Muḥyî al-Dîn Ibn ‘Arabî al-Ḥâtimî, andalou musulman, d’origine arabe, plus connu sous son seul nom d’Ibn ’Arabî ou « al-Cheikh al-Akbar » (« le plus grand maître ») est un théologien, juriste, poète, métaphysicien et maître du soufisme islamique. (m. 638/1240).

10- Voir T. Chouiref, Les enseignements spirituels du Prophète, Wattrelos, éd. Tasnim, 2008, vol.II, p. 152.

11- Née à Bassorah entre 713 et 717, elle fut une figure majeure de la spiritualité soufie (m. 180H/796). Il est important de signaler que Ḥasan al-Baṣrî est décédé en 728 alors que Râbi‘a n’a pas dépassé l’âge de 15 ans. Certains affirment qu’ils ne se sont jamais rencontrés.

12- Farîd al-dîn ‘Aṭṭâr, Le mémorial des saints, Paris, éd. du Seuil, 1976, p. 41.

13- Al-Makkî, Qût al-qulûb, I, p. 190-191.

14- Al-Makkî, Qût al-qulûb, II, p.22.

15- Al-Makkî, Qût al-qulûb, II, p.23.

16- Importante école de théologie musulmane basée sur la logique et le rationalisme.

17- L. Massignon, Essai sur les origines du lexique technique de la mystique musulmane, op. cit. p. 137-138.

18- Ibn Taymiyya, Majmû‘ al-fatâwâ (6/11).

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