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vendredi 26 avril 2024

Dorra Mameri-Chaambi : « L’Etat n’est pas encore prêt à se détourner de l’islam consulaire » 6/6

CFCM
La Grande Mosquée de Paris. 

Dorra Mameri-Chaambi est chercheuse associée au groupe sociétés, religions, laïcités au CNRS. Spécialiste de la Grande mosquée de Paris et du CFCM, elle nous livre son analyse et ses éclaircissements sur les assises territoriales de l’islam de France dans cette sixième et dernière partie de notre dossier.

Mizane.info : que pensez-vous de l’organisation de ces assises territoriales de l’islam de France ?

Dorra Mameri-Chaambi : Cela nous rappelle l’istichara qu’avait lancée Chevènement dans les années 90 et plus généralement toutes les tentatives de régulation par le haut de l’islam. On essaie de faire du neuf ou du clinquant avec du vieux. L’approche est un peu flou. Il semble qu’on veuille mettre en place une sorte de mejliss, une assemblée ad hoc réunissant les Conseils Régionaux du Culte Musulman et plus généralement les acteurs du culte musulman, tout en oubliant l’impact fort qu’ont les chancelleries étrangères sur la structuration de l’islam en France. Si l’objectif est de créer un grand imamat de France, cela me paraît compliqué vu le déficit d’imams formés sur le territoire national. Etant donné les précédentes tentatives, je reste dubitative.

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Dorra Mameri-Chaambi.

A quels besoins répondent ces assises ?

On avait déjà vu que les CRCM avaient mieux marché que le CFCM. Mais on a l’impression que chaque nouveau président et gouvernement a besoin de lancer sa propre consultation. Tout ceci n’est pas nouveau. Dans les années 2000, les préfets avaient lancé des consultations régionales à des fins de régulation et d’institutionnalisation du culte musulman.

Vous voulez-dire que tout ceci relève de la pure communication ?

Tout à fait. Ceci est à replacer dans le contexte des attentats islamistes sur le territoire français. Le politique a besoin de trouver des mécanismes pour rassurer l’opinion publique quant à l’action de l’Etat. Ce dernier est confronté à un déficit de réussite sur son action menée sur ce sujet. L’Etat veut donc reprendre le dessus, il s’agit d’une régulation par le haut qui est reconduite depuis trente ans, même si cette démarche des assises s’inscrit au niveau départemental.

Le CFCM n’a pas été consulté avant la mise en œuvre de ces assises. Est-ce une mise à l’index officielle de la part des pouvoirs ?

En dépit des bonnes volontés, le CFCM est une coquille vide. C’est ce qui explique que l’Etat ait souhaité mettre de côté le CFCM dans son initiative, en dépit de l’invitation du président Ogras lors de la cérémonie des vœux en janvier dernier. Malgré la présidente tournante instituée dans les années 2010, on avait observé le maintien de cette faiblesse institutionnelle entretenue par des défections multiples de la Mosquée de Paris ou de l’UOIF. C’est donc en effet une forme de mise à l’index. Mais il faut attendre octobre pour pour en savoir plus et voir ce que vont donner les travaux rendus publics, notamment ce qu’ont donné ces consultations.

La question de la manière de fédérer les différents islams français est ouverte sur la place des femmes, des convertis et des différentes sensibilités musulmanes. La première responsabilité des pouvoirs publics est de veiller à ce que toutes les sensibilités puissent venir s’exprimer et, de ce fait, ouvrir un début de dialogue. Dans le passé, cela n’a pas été fait.

Ceci étant dit, dans le contexte des attentats qui ont endeuillé la France, les pouvoirs publics auraient pu difficilement ne rien faire, ce qui leur aurait été reproché. Mais cette démarche est-elle faite avec les bons mécanismes ? C’est une vraie question. Une autre grande interrogation est ce contournement de la laïcité et cette néo-gallicanisation de l’islam. Laisse-t-on les musulmans libres de s’organiser eux-mêmes, avec un filtrage de l’Etat qui correspond un peu à notre modèle césaro-papiste ?  Quel sera le degré d’influence de l’Etat sur cette volonté d’organiser le culte musulman ? Ce sont des questions  de fond qui m’interpelle.

Quels acteurs ont été écartés de ce processus de consultation ?  

Les jeunes musulmans qui n’ont pas été représentés dans la structuration de l’islam de France. Beaucoup ont choisi de s’écarter de ce processus car tout avait été déjà décidé avec les chancelleries étrangères. C’est bien l’Etat qui a participé à légitimer les acteurs musulmans en lien avec les chancelleries étrangères. Bajrafil fait partie, a contrario, de ces nouvelles figures de l’islam métropolitain qui portent un discours religieux plus moderne. Il est légitime de se demander si dans un contexte fort de contestation, des imams formés à l’école de la République ne représenteraient-ils pas une sorte de menace pour l’Etat car des imams français formés en France seraient non contrôlables.

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Le président Macron avec Anouar Kbibech (au centre), Ahmet Ogras (à gauche) actuel président du CFCM et Chems-Eddine Hafiz (à droite).

L’Etat n’aurait-il pas intérêt à avoir recours à ces imams étrangers formés à bonne école politique, des fonctionnaires pratiquant l’imamat ? Le problème de la formation des imams est qu’elle exige un temps long, plus d’une dizaine d’année. On se situe sur le long terme ou le moyen terme. A court terme, il n’est pas possible de proposer aux fidèles des imams respectables qui soient formés et compétents. Et dans ce laps de temps, pour éviter que des imams non formés et autoproclamés occupent le terrain, l’Etat semble n’avoir d’autre recours que ces imams formés à l’étrangers, dans le cadre d’accords bilatéraux avec l’Algérie et le Maroc, pendant le Ramadan par exemple où une centaine d’imam est envoyé.

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Entre l’exigence de non-ingérence de l’Etat dans les affaires du culte et l’immobilisme persistant des acteurs du culte musulman, quelle est l’alternative ?

La non-ingérence n’exclut pas un filtrage ou un accompagnement de l’Etat. Ce dernier doit avoir des interlocuteurs avec les corps constitués. Sur le plan administratif et juridique, l’Etat possède un droit de regard sur ces corps. Il n’y a donc pas de désengagement de l’Etat. L’Etat doit impulser sans être trop présent. La question est : de quel degré de présence l’Etat va-t-il faire montre ? Serons-nous confrontés aux sempiternelles divisions des musulmans sur des questions techniques du culte ? La question de la manière de fédérer les différents islams français est ouverte sur la place des femmes, des convertis et des différentes sensibilités musulmanes. Fédérer tous ces acteurs est difficile. Il y aura obligatoirement des mécontents. L’Etat doit, en tous cas, entendre tous ces acteurs et ne pas les laisser de côté. La première responsabilité des pouvoirs publics est de veiller à ce que toutes les sensibilités puissent venir s’exprimer et, de ce fait, ouvrir un début de dialogue. Dans le passé, cela n’a pas été fait.

Cela passe nécessairement encore par une sélection des acteurs…

Cela passe surtout par des recherches sur le terrain et une réelle connaissance de la multiplicité des acteurs. Ce qui signifie que l’Etat engage le monde universitaire à lui présenter ses recherches. Une multiplicité d’enquêtes pourrait être menée sur le ressenti des musulmans, chose qui n’a pas été réalisée.

Ne pensez-vous pas qu’il existe une confusion générale entre la représentation du culte musulman et la représentation des musulmans eux-mêmes ?

L’idéal serait de distinguer les deux. Mais dans la perception générale de l’islam, tout est intrinsèquement lié, le fidèle et le culte. Lorsque l’on dit représentation du culte musulman, chacun va penser à sa propre manière de concevoir le culte. Les musulmans eux-mêmes font cette confusion entre culte et représentation des individus.

Les pouvoirs publics et les représentants des islams français ont besoin d’une approche plus originale. Reprendre les mêmes ingrédients pour faire un nouveau plat n’est pas une solution. Il leur faut déblayer le terrain et faire table rase pour bâtir autre chose de neuf.

Cela n’a pas été le cas forcément pour les autres religions au temps du Concordat et de la politique menée par Napoléon. Lorsque l’ont dit représentation, on dit aussi représentants. Sur les questions techniques du culte, il n’y a pas par contre de dissensions majeures. Il existe pourtant un fossé entre les fidèles qui veulent pratiquer leur culte et les doléances des représentants.

Mohamed Aïssa est le ministre algérien des Affaires religieuses.

L’une des raisons de l’échec du CFCM est que l’on a trop parlé de problèmes institutionnels et pas suffisamment des problèmes quotidiens que le fidèle rencontre dans la pratique de son culte. Le succès de ces assises serait de remettre le curseur au niveau des attentes de ces fidèles.

L’Etat est-il prêt à tourner la page de l’islam consulaire ?

L’Etat n’est pas encore prêt à se détourner de l’islam consulaire, du moins encore pour une dizaine d’années, pour les raisons pragmatiques relatives au besoin d’imams dont nous avons parlé. La même question se pose dans l’autre sens : les Etats étrangers comme les pays du Maghreb ou la Turquie sont-ils prêts à renoncer à leurs ouailles françaises ?

La question se pose davantage pour la France qui prône un islam français mais qui dans le même temps coopte l’étranger pour la gestion du culte sur son territoire. Les Etats étrangers ne renonceront pas d’eux-mêmes à l’influence qu’ils peuvent exercer sur leurs diasporas et ses descendants car cela participent de leur intérêt politique.

C’est effectivement une logique de realpolitik. En 2013, le ministre des habous algérien me disait « On ne lâchera pas l’islam en France ». D’ailleurs, la question se pose de savoir comment remplacer le financement étranger si l’Etat français décide de couper le lien avec les pays d’origine. Ce financement n’est pas significatif à l’échelle national mais il l’est pour les grandes mosquées concernées qui sont aussi les mosquées qui accueillent le plus de fidèles. Quoi qu’il en soit, cette rupture n’aura pas lieu maintenant. L’Etat a besoin d’effets d’annonces rapides sur un dossier qui exige du temps. Les pouvoirs publics et les représentants des islams français ont besoin d’une approche plus originale. Reprendre les mêmes ingrédients pour faire un nouveau plat n’est pas une solution. Il leur faut déblayer le terrain et faire table rase pour bâtir autre chose de neuf.

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