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jeudi 25 avril 2024

L’islam, un test pour la République 2/2

Seconde partie d’un article de Nadia Henni-Moulaï, journaliste, écrivain et fondatrice du site d’information MeltingBook, consacré à l’histoire des relations entre l’islam et la République. L’auteure y aborde la question de la rupture générationnelle des Français de confession musulmane et celle de la politisation de l’islam. Retrouvez la première partie de l’article ici.   

Du côté des pouvoirs publics, l’islam représente un allié conservateur face à l’influence grandissante des syndicats et des partis de gauche, alors au firmament. Dans Syndicalisme français et islam, R. Mouriaux et C. Withol de Wenden (4) le montrent bien. En 1972, les immigrés représentent 1,7 % des délégués dans les congrès de la CGT. Dix ans plus tard, ils sont plus de 8 %. Cette progression traduit une nouvelle réalité. Jadis colonisés, ces travailleurs musulmans disposent d’un pouvoir pour faire pencher le jeu politique en leur faveur. L’épisode de la grève des loyers dans les foyers Sonacotra entre 1975 et 1980 en est un exemple concret. Portant notamment sur le blocage et la réduction des loyers, l’action des « résidants » Sonacotra, appuyée par la CGT, le PCF et les associations (Amicale des Algériens en Europe) conduit à des négociations qui satisfont en partie les plaignants. Cette séquence modifie la vision de l’immigré, également défini par son appartenance cultuelle, car elle politise, fait nouveau, la question migratoire. Et implicitement la question musulmane en France.

AbdelKader Achebouche, pionnier de la lutte pour les droits des musulmans

Contrairement aux idées reçues, les chibanis, dans les foyers Sonacotra ou non, sont les précurseurs des luttes de l’immigration qui s’incarnent aujourd’hui à travers les polémiques à répétition au sujet de l’islam.

En 1975, une grève générale des travailleurs des foyers Sonacotra.

Une figure comme AbdelKader Achebouche, responsable de la mosquée Al-Ihsan, ou Renault à Argenteuil (Val d’Oise) incarne bien cet islam des années 70 qui a posé les bases organisationnelles de ce culte. Né en 1931 en Algérie, il s’installe en France en 1965. L’homme est lettré. A Paris, il monte deux agences de voyage en 1974. Pratiquant, il est frustré de ne pas disposer de lieu de culte. Il monte, alors, une cabane dans le jardin d’un ami à Asnières.

Là où les anciens privilégiaient des négociations cordiales, les Français musulmans font valoir leurs droits. Un changement radical qui introduit, aussi, une rupture dans la question de l’islam en France

Ils seront une trentaine à prier dans cette « mosquée » de fortune. En 2010, il inaugurera la mosquée Al-Ihsan en présence du Premier ministre de l’époque.  Le cas Achebouche illustre une partie de la réalité de cet islam local transformé à l’échelon national en objet de fantasme. Les constructions de mosquées sont loin d’être une sinécure. Entre absence de moyens et obstructions des élus locaux, l’islam du terrain connait de nombreux soubresauts.

A Saint-Gratien, la mairie dirigée par Jacqueline Eustache-Brinio et l’association des musulmans de la ville (AMSG) sont en conflit officiel. En 2005, elle entravait le projet d’achat d’un pavillon par l’association franco-maghrébine dirigée par feu monsieur Jeffali. La vente, en passe d’être conclue, sera interrompue par la mairie qui fait alors valoir son droit de préemption pour en faire des logements… qui ne verront jamais le jour. Aujourd’hui, les procédures s’enchainent grâce à l’activisme de la jeune association née sur les cendres de l’association franco-maghrébine, fondée par les chibanis, il y a 20 ans.

Rupture générationnelle

Là où les anciens privilégiaient des négociations cordiales, les Français musulmans font valoir leurs droits. Un changement radical qui introduit, aussi, une rupture dans la question de l’islam en France. Les jeunes générations de musulmans vont sur le terrain du droit. En 2011, le Conseil d’Etat donnait raison à l’AMSG à qui le maire avait refusé une location de salle municipal pour la célébration de l’Aïd el Fitr. Cette nouvelle posture révèle aussi une rupture générationnelle entre les anciens, résidents en France, et leurs enfants, Français à part entière. Une nouvelle donne qui change la vision du musulman, autrefois incarnation de la domination coloniale, aujourd’hui citoyens revendiquant l’égalité dans un Etat de droit. Il s’agit certainement d’un point de friction. Les Français musulmans en ont fini avec cette culture de la discrétion, résidus probables de la colonisation…

L’islam dans le moule de la République

Une nouvelle approche qui explique en partie le rejet dont la nomination de Jean-Pierre Chevènement, à la tête de la mission de préfiguration de la Fondation pour les œuvres de l’islam de France, fait l’objet. Au-delà de la symbolique paternaliste, le rapport que les autorités publiques entretiennent avec ses citoyens pose question.

Est-il juste de penser que Chevènement pallie à l’absence de figure de proue capable de diriger la fondation ? Si Omero Marongiu-Perria, sociologue des religions, pointe les « multiples sensibilités qui traversent les musulmans français », il rappelle qu’« exiger qu’une seule tendance représente les musulmans est très problématique. On attend d’eux qu’ils soient calqués sur l’organisation des catholiques ». D’abord parce qu’il y a une injonction à « la francité. On intime l’ordre aux musulmans de se réclamer d’un islam français », selon lui.

Si l’Ined table sur une moyenne de 4,1 millions de musulmans en France, l’institut dessine aussi trois profils de musulmans, entre ceux manifestant une forte religiosité, d’autres accordant une place moyenne à l’islam et les derniers, plutôt de culture musulmane

D’ailleurs, le projet de Fondation réactivée par Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, comporte une ambition culturelle. Chevènement parle de « but profane » de la structure qui financerait des projets éducatifs, sociaux et culturels. D’où le scepticisme de bon nombre d’observateurs musulmans qui voient là, la main de l’Etat paternaliste pour tenir les musulmans. A côté de cette fondation, une association sera en charge des questions les plus importantes, celles liées au culte.

De l’islam de France à l’islam en France

Ensuite parce, « la gestion du culte, fait paradoxal, est encore sous-traitée à des Etats étrangers », rappelle-t-il. La grande mosquée Mohamed VI de Saint-Etienne (Rhône-Alpes), en partie financée par le Maroc, était inaugurée en 2012 en présence d’élus de la République.

L’islam tel que vu par les pouvoirs publics est donc schizophrénique et fantasmée. L’approche de l’Etat pour organiser le culte reste dans le sillage d’une vision erronée des musulmans vus comme un bloc monolithique. Or, et il s’agit de l’un des enjeux pour la France, la « communauté » musulmane est traversée par une myriade de profils et de trajectoires. Si l’Ined table sur une moyenne de 4,1 millions de musulmans en France, l’institut dessine aussi trois profils de musulmans, entre ceux manifestant une forte religiosité, d’autres accordant une place moyenne à l’islam et les derniers, plutôt de culture musulmane. Cette typologie fait voler en éclat la notion d’islam de France, défendu par l’Etat, au profit de l’islam en France, formule plus inclusive dans le sens où elle valide l’idée de courants religieux mais aussi de trajectoires propres à chaque Français musulman. C’est justement ce défi de la liberté d’être, valeur centrale de la laïcité, que les musulmans posent à la République. A elle d’en être à la hauteur.

Notes :

1) Mouriaux et C. Withol de Wenden, syndicalisme français et islam, in Les Musulmans dans la société française, sous la direction de R.Léveau et G.Kepel, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1988, p.44

A lire sur le même sujet : 

« L´islam, la République et le monde », Alain Gresh

« L´islam au secours de la République », Abdel Malik

« Islamicités », Jocelyne Dakhlia

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