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mardi 19 mars 2024

Ce que cache le désamour d’Olivier Giroud

La France s’est qualifiée pour la finale de la Coupe du monde 2018 en Russie. Une remarquable performance que personne n’attendait. Malgré cela, les critiques les plus acerbes se multiplient contre Olivier Giroud, en particulier chez tous les supporters de Karim Benzema. Un sentiment révélateur des enjeux psychologiques inavoués de la fanosphère « militante ». Décryptage.

Depuis plusieurs années, Olivier Giroud, attaquant de l’équipe de France, est l’objet d’attaques continues, de moqueries, de commentaires sur ses « piètres » performances sportives. Un sort qu’il n’est ni le premier, ni le dernier joueur à subir. Pourtant, cet acharnement peine à masquer d’autres ressorts à l’œuvre dans cette humiliation permanente que subit le numéro 9 de l’équipe de France. Que lui reproche au juste ses détracteurs ? De ne pas marquer de buts. Certes, sur le plan du goal average, l’homme n’est pas en réussite. Pas de buts à son actif dans cette coupe du monde. Mais est-ce le seul dans ce cas de figure ? Pas exactement. Griezmann, annoncé comme le meneur et la valeur sûre de l’équipe de France, n’a marqué que trois buts dont un seul sur action directe (deux sur penaltys). Pas de quoi pavoiser. Giroud a-t-il pour autant chômé en première ligne ? Loin s’en faut. Pression mis sur les défenses adverses, passe décisive, l’homme n’a pas été invisible. Si cela ne suffit pas, effectivement, à écarter les critiques légitimes sur son jeu, cela suffit à souligner dans quelle mesure la nature des critiques exprimées contre l’homme déborde visiblement le cadre sportif. D’autant que ces critiques ont été permanentes durant sa carrière, y compris lorsque le joueur marquait des buts.

Olivier Giroud l’usurpateur

Longtemps remplaçant de Karim Benzema, Giroud s’est progressivement imposé comme joueur jusqu’à obtenir sa titularisation officielle. Une décision de Didier Deschamps qui n’a jamais été digérée par les fans de Benzema. Depuis cette décision, la place de Giroud est systématiquement perçue comme une usurpation. L’homme occuperait la place de Benzema, plus légitime car meilleur joueur. Vraiment ? Puisque le seul critère retenu par ces fans est le nombre de buts en sélection nationale, comparons les deux joueurs. Benzema a joué, semblent-ils avoir oublié, 81 fois sous les couleurs des Bleus. Il a marqué 27 buts. Giroud a joué 80 fois et a marqué… 31 buts !

Dans le classement des meilleurs buteurs français en sélection nationale, Olivier Giroud est le 4e meilleur buteur de l’équipe de France, derrière Thierry Henry, Michel Platini, et David Trezeguet (lui aussi écarté sous l’ère Domenech sans que cela n’ait provoqué la même émotion). Benzema n’est que neuvième de ce classement. Donc, objectivement, Giroud est statistiquement un meilleur attaquant que Benzema en équipe national. Or, les attaques personnelles contre lui n’ont jamais cessé, y compris lorsque les buts étaient au rendez-vous. A contrario, les mauvais résultats de Benzema en équipe nationale n’ont pas fait l’objet de lynchage virtuel ou de critique à la mesure de celles exprimées contre Giroud. La même remarque pourrait s’appliquer à d’autres joueurs (Trezeguet, Ribery). Il y a donc d’autres raisons qui expliquent le ressentiment exprimé contre Giroud et à un autre niveau contre Deschamps.

Le pseudo racisme de Didier Deschamps

Ce dernier, qui a mené sa sélection en finale à deux reprises (Coupe d’Europe 2016, Mondial 2018) a, pareillement à ses devanciers, été l’objet des plus sévères critiques. Mais sa non sélection de Benzema a été rédhibitoire auprès des fans du joueur madrilène. Pour eux, cette décision était raciste. Deschamps aurait cédé à une forme de racisme le poussant à exclure le « meilleur attaquant » français. L’accusation n’avait-elle pas été elle-même exprimée par Benzema dans un journal espagnol après sa mise à l’écart de l’euro 2016 ? Une accusation si pathétique et absurde au regard de la composition de l’équipe de France, qu’elle mènerait, prise au sérieux, à accuser Deschamps de racisme… anti-blancs !

La baraka de Deschamps fait des envieux et il est difficile de ne pas y voir la projection d’une certaine frange de la population qui y voit, via la figure de Benzema, le symptôme d’une France qui gagne sans elle, malgré elle, d’une France qui peut se passer d’elle

Si l’absence de Benzema dans l’équipe nationale est réellement triste, la version manichéenne de cette absence n’est pas très crédible. Quel sélectionneur aurait convoqué à ce mondial un joueur l’accusant de racisme dans la presse internationale ? Il est certain que les fans inconditionnels de Karim Benzema attendaient le moment où les Bleus allaient enfin s’effondrer en l’absence d’un réel attaquant. C’est là que l’effet Giroud prend toute sa mesure.

La France qui gagne et la France qui souffre

Or, que s’est-il passé ? Deschamps (et Giroud avec lui), a gagné match après match et hissé la France quasiment au même rang que la génération 98, la consécration en moins (sans préjuger du résultat final de ce Mondial). De quoi faire rager les pro-Benzema qui ont l’air de sombrer dans une dépression footballistique sans nom. Quoi ! Deschamps mène la France à la victoire, et qui plus est sans Benzema, et avec Giroud ? Insupportable pilule du succès qui ne passe pas. La baraka de Deschamps (et, par ricochet, de Giroud) fait des envieux et il est difficile de ne pas y voir la projection d’une certaine frange de la population qui y voit, via la figure de Benzema, le symptôme d’une France qui gagne sans elle, malgré elle, d’une France qui peut se passer d’elle.

Olivier Giroud
Didier Deschamps.

Une vision tronquée du début à la fin, comme le montre encore une fois la richesse extraordinaire du réservoir national en matière de joueurs mais c’est cette vision qui traverse une partie importante de ces supporters déçus et amers. Une vision qui, par ailleurs, et on peut s’en inquiéter, montre la porosité des thèses raciales en vogue ces dernières années dans les milieux activistes et sur les réseaux sociaux situés dans la mouvance antiraciste. Ce qui nous oblige à un détour analytique nécessaire pour comprendre en amont ce qui se joue en aval dans cette affaire sportive (mais pas seulement). Des slogans, comme celui de « privilège blanc », démontrent à quel point l’inflation terminologique du recours à la blanchitude et à la racialisation des analyses de tout ordre (politique, sociale, culturelle, artistique, sportive), fusse-t-elle une racialisation par inversion ou par réaction (à la porosité de thèses d’extrême-droite ou de pratiques sociales d’entre soi sélectif), a été banalisée. Ces catégories raciales fonctionnent désormais à plein régime explicitement et donc aussi implicitement.

La gangrène des thèses « blanches »

Cette influence des thèses raciales exclusives dans la vision et le discours des supporters est réellement problématique à au moins trois niveaux : sur le plan de l’évaluation rationnelle, cette grille parasite toute forme de connaissance équilibrée et argumentée des sujets en imposant systématiquement, en arrière-plan, un déterminisme racial comme facteur causal. Le plus important n’étant pas que cela soit acté par des faits clairs et rigoureux mais justifié par la simple possibilité théorique d’une telle interprétation : après tout, rien n’empêche dans l’absolu qu’un sélectionneur écarte, dans le fin fond de sa conscience un joueur à cause de la représentation ethnoculturelle négative qu’il s’en fait, quand bien même les arguments avancés par lui pour justifier cette décision ne le seraient pas ! Un premier pas ferme et résolu vers la paranoïa.

Si la race est la catégorie de l’ennemi politique, sa reprise à leur compte par les antiracistes ne peut que les mener à long terme à une défaite éthique doublée d’une défaite idéologique et politique du fait que cette catégorie a été pensée et appliquée par et pour ceux qu’elle devait servir, en l’occurrence les suprématistes

Deuxième niveau : sur le plan éthique, cette approche raciale exclusive des problèmes génère une régression morale inévitable, et déjà constatable. Elle entraîne le recours à un double standard, à des exigences diversement justifiées par l’existence d’un racisme structurel, totalitaire, qui suinterait à chaque coin de rue, dans chaque regard, à chaque déclaration et derrière chaque décision qui n’irait pas dans le bon sens, le nôtre ! Les insuffisances de nos champions sont excusables de mille et une manières, celles de leurs alter égos inexcusables pour d’autres raisons. Peu importe les contre-performances, les comportements, ou les considérations d’articulation collective des joueurs à une équipe : seule compte la race et la couleur. Cet aveuglement mène à substituer à un entre soi à la fois réel (dans ses manifestations) et imaginaire (dans son extrapolation), notre propre imaginaire de l’entre soi tout aussi réel ! En somme, notre entre soi est légitime, notre vision ethno-centrée tout autant (on aime bien Benzema parce qu’il nous ressemble), ceux des autres sont coupables. Cette vision n’est rien moins qu’une liquidation éthique des êtres et des rapports qui ne peut déboucher que sur la mauvaise foi et l’hypocrisie. Troisième niveau, la dimension politique de cette vision qui nourrit et dope le conflit des races dans la France du XXIe siècle. Suicidaire sur le plan stratégique pour ceux qui se définissent comme minorités visibles, condamnable sur le plan éthique comme nous venons de le voir, cette approche semble consommer une forme de rupture sociale, politique et psychologique définitive des minorités avec la population autochtone majoritaire.

L’extension du domaine de la lutte raciale

Or, cette rupture ne résout politiquement rien, ne faisant que reconduire sur les plus mauvaises bases (ethniques ou « raciales ») un conflit qui ne pourra que s’étendre, toujours au détriment des minorités. Le contre-racisme rhétorique des activistes antiracistes arboré comme réponse politique aux thèses racialistes des adeptes du suprématisme européen ne fait que renforcer les seconds au détriment des premiers. Si la race est la catégorie de l’ennemi politique, sa reprise à leur compte par les antiracistes ne peut que les mener à long terme à une défaite éthique doublée d’une défaite idéologique et politique du fait que cette catégorie a été pensée et appliquée par et pour ceux qu’elle devait servir, en l’occurrence les suprématistes. Ne pas le voir est une folie, ne pas le comprendre un aveuglement. A chaque fois que le mot race, blanc ou assimilé est employé, il renforce l’extension du domaine de la lutte des suprématistes. A force d’être dégainé sans sommation, le mot de racisme, à l’instar de celui d’antisémitisme, a plongé la société française dans un climat de terreur politique, intellectuel, moral et psychologique dont nul n’est sorti indemne. La solution politique d’une refondation nationale tant attendue et espérée passe, à l’évidence, par une autre voie. Une voie dont le football, élément catalyseur de la société française, pourrait jouer un rôle symbolique. Et rien n’est plus fort qu’un symbole.

Fouad Bahri

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